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SUR LE SEUIL
«EVIL WORDS»
Creation of dream sequences for the feature film (2002)
Director of the feature: Eric TESSIER
Direction of dream sequences
& Credits: Alain ESCALLE
VFX: Alain ESCALLE
Production: GO FILMS
Distribution: ALLIANCE
Format:Digital/film . 2:35
Durée des séquences: 7 minutes 15
par Daniel SERNINE [DS] et Christian SAUVÉ [CS]
Exclusif au Volet en ligne (Adobe Acrobat, 939Ko) deSolaris 147, Automne 2003
Sur le Seuil ouvre la porte
Compte tenu du contexte (battage médiatique sans précédent, unanimisme du milieu après l'avant-première à Fanta-Asia), je crois utile d'amorcer mon commentaire en évoquant mes attentes ou, plus exactement, mes appréhensions. Ceux et celles qui fréquentent le congrès Boréal savent que je ne suis pas un admirateur enthousiaste des romans de Patrick Senécal. Je les trouve généralement captivants mais les dialogues m'apparaissent souvent trop bavards et je suis en désaccord avec certains choix littéraires de l'écrivain (narration en je, langage « naturaliste »). Par ailleurs, ce n'est pas parce que j'allais commenter le film dans Solaris - publiée par un éditeur associé à Alire, qui a publié le roman Sur le Seuil - que j'allais nécessairement en faire une critique élogieuse.
Mon appréciation n'en sera donc que plus positive. Précisons en passant que je n'ai pas relu le livre depuis sa parution en 1998.
Je ne puis donc cerner ce qui en a été omis pour l'adaptation mais, comme le scénario est cosigné Patrick Senécal, on peut présumer qu'il n'a rien écarté d'important. L'œuvre a peut-être même gagné à être resserrée (en tout cas, on n'y blasphème presque pas !).
Dans l'ouverture coup-de-poing (efficace malgré une reporter bien peu convaincante), onze enfants en visite au Biodôme de Montréal sont tués à coups de revolver par un policier qui semble être brusquement devenu fou. Le même jour, les psychiatres Paul Lacasse (incarné par Michel Côté, presque parfait) et Jeanne Marcoux (Catherine Florent) reçoivent un célèbre patient à l'hôpital Sainte-Croix : Thomas Roy, écrivain d'horreur de renommée mondiale (et néanmoins québécois), incarné par Patrick Huard. L'auteur, dans la mi-trentaine, s'est tranché les doigts à l'aide d'un massicot et a tenté de se suicider. Sa catatonie initiale cède le pas à un refus d'expliquer ses motifs, hormis qu'il n'en peut plus (quelques mois plus tôt, il avait annoncé qu'il cessait d'écrire). À la demande de sa consœur, une fan de Roy, Lacasse enquêtera plus que le ferait ordinairement un médecin ; il sera même amené par les circonstances à accepter l'aide d'un journaliste sans scrupule, Monette, sous la forme d'un cahier de découpures de journaux recueilli dans les ordures de l'écrivain. Il en ressort que les meurtres, massacres et morts tragiques ayant fait l'objet de ces faits divers, ont tous figuré dans les romans d'horreur de Roy. Mais quelle version a précédé laquelle, l'authentique ou la fictive ? Lacasse, désabusé et récemment séparé, refuse l'évidence croissante : Thomas Roy n'a pas seulement été témoin de ces manifestations du Mal, il y serait impliqué d'une façon inexplicable.
L'interprétation varie de bonne à excellente. Patrick Huard est adéquat, peut-être parce qu'il n'a pas vraiment à personnifier un écrivain (du moins un écrivain dans sa vie normale). Albert Millaire est à la hauteur de sa réputation dans le rôle du père Lemay, seul survivant du tragique trio ecclésiastique de Mont-Mathieu, mais j'ai trouvé plus savoureux le rôle du père Boudreault. Chez les médecins, c'est hélas Catherine Florent le maillon faible. Peut-être parce que ses répliques sont rendues de manière inconsistante, peut-être parce que c'est en elles que se sont réfugiés les travers de Senécal en la matière : des dialogues qui font trop « exposé ».
Le directeur photo, Denis-Noël Mostert, signe des images aux couleurs à la fois glauques et crues, où dominent le bleu et le vert d'hôpital. Baignées de rouge, les scènes de cauchemar, signées par l'artisan du générique, Alain Escalle, sont très efficaces dans le registre du thriller d'horreur, et n'ont rien à envier à des productions à gros budget, pas plus que les effets spéciaux prosthétiques. La musique de Ned Bouhalassa s'avère tout aussi intéressante, mais le réalisateur (ou le monteur) l'ont employée pour souligner un peu trop lourdement les moments forts, comme par crainte que l'image à elle seule ne suffise pas à saisir le spectateur. Ajoutons à cela que la trame sonore (dialogues exclus) était désagréablement poussée au maximum, du moins à la projection de presse à laquelle j'ai assisté. Est-ce le signe qu'on vise un public jeune, lequel tient présumément à se faire casser les oreilles ?
Si le propos central de l'œuvre (la Grande Explication, livrée vers les trois quarts du film) manque un peu de substance, cela est rattrapé magistralement par l'épisode final, le vent de folie meurtrière qui balaie l'aile psychiatrique. Les scénaristes, peut-être parce qu'ils se savaient limités au plan des moyens techniques, ont pris le parti de la concision, de l'ellipse et de l'aperçu (mais pas de l'allusion : ce qu'on voit de l'horreur finale est assez explicite merci !). Pour revenir une phrase en arrière : je ne me rappelle pas si l'aspect du Mal était mieux fouillé dans le roman ; mais, dans le film, tout ce qui entoure le père Pivot et ses vilaines pratiques est un peu court. Le prêtre lui-même, personnifié par Nicolas Canuel, ne dégage hélas pas grand-chose - carence regrettable pour une incarnation du Mal. Mais bon, Polanski n'a guère fait mieux dans The Ninth Gate, alors on serait bien malvenu d'en tenir rigueur à un réalisateur qui commence tout juste sa carrière.
Dans le milieu québécois du fantastique, les regards, pleins d'expectative, étaient tous braqués vers ce qui allait être le premier film québécois d'horreur fantastique « sérieux » produit à un niveau professionnel, avec budget conséquent (des comédies comme Karmina sont évidemment exclues de la comparaison). Si on retenait son souffle, je crois qu'on peut maintenant respirer à l'aise : Sur le Seuil ne se casse pas la gueule, loin de là, et on n'a pas à recourir aux humiliants arguments du genre « mais ils avaient un si petit budget » ou « pour un film québécois, c'est bon ». Le grand public saura désormais qu'il s'écrit et se publie du très bon fantastique au Québec; signe des temps, ça prenait un film pour le prouver, mais bon, il faut ce qu'il faut ! [DS]